Rudolf Steiner

Steiner, un maître à penser
Rudolf Steiner, une personnalité immense  de dimension cosmique digne de figurer au Panthéon des plus grands maîtres de sagesse

 

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Extrait de Initiation – Rudolf Steiner

Chapitre IV

Initiation

L’initiation est dans une discipline occulte le plus haut degré sur lequel il soit encore permis de donner des indications dans un écrit destiné à la publicité. Tout ce qui la dépasse est secret. Mais on saura facilement en découvrir le chemin si l’on a pénétré jusqu’aux mystères mineurs à travers la Préparation, l’Illumination et l’Initiation.

Sans l’initiation, l’homme ne pourrait acquérir qu’après de nombreuses incarnations par une voie et sous une forme tout autre, le savoir et le pouvoir qu’elle lui confère. Ceux qu’on initie reçoivent un enseignement sur la nature des choses qu’ils n’auraient été appelés à connaître que plus tard, dans des circonstances tout autres.

Un homme ne doit connaître des mystères de l’être que ce qui répond au  degré  de  son évolution. C’est pour cette seule raison qu’il existe des obstacles sur la voie qui mène à la connaissance des vérités et des pouvoirs transcendants. On ne peut mettre une arme à feu entre les mains d’un homme que quand il a assez d’expérience pour pouvoir s’en  servir  sans  causer  un malheur.

Si l’on initiait aujourd’hui quelqu’un sans préparation suffisante, il lui manquerait l’expérience qu’il acquerra au cours de ses incarnations futures jusqu’au moment où par l’effet normal de l’évolution ces mystères lui seront dévoilés dans leur suite naturelle. C’est pourquoi à la porte de l’initiation, il faut que cette expérience soit remplacée par quelque chose. Les premières instructions que reçoit donc le candidat à l’initiation sont destinées à compenser l’expérience que lui aurait donnée l’avenir. C’est ce qu’on appelle les « épreuves » qu’il lui faut traverser.

Des ouvrages accessibles au public font allusion à ces épreuves, mais, comme on le pense bien, ces traités ne peuvent que donner une idée très inexacte de la réalité, car celui qui n’a pas passé par la préparation et l’illumination n’a jamais rien vu qui puisse l’éclairer sur ces épreuves, et par suite il est incapable d’en donner une description véridique. Devant les yeux du candidat doivent passer un certain nombre de choses et de phénomènes qui appartiennent au monde supérieur, mais il ne peut naturellement les voir et les entendre que s’il est capable de percevoir les figures, les couleurs et les sons dont nous avons parlé en traitant la préparation et l’illumination.

La première épreuve consiste à  acquérir  une  perception  plus  adéquate  des  qualités matérielles des corps inanimés, puis successivement, des plantes, des animaux, de l’homme. Mais nous n’entendons pas par là ce  qu’on  appelle  aujourd’hui  connaissances  scientifiques.  Il ne  s’agit pas de science mais de perception. En règle générale, il arrive qu’un initié fait  voir  au  candidat comment les  êtres animés  et inanimés  se manifestent à l’œil et à  l’oreille spirituels,  de  sorte  que dans une certaine mesure ces phénomènes apparaissent à l’observateur dévoilés et comme nus.

Les attributs que l’on perçoit ainsi échappent aux sens physiques, et sont pour ceux-ci comme enveloppés d’un voile. Ce voile tombe devant le candidat en vertu d’un procédé que l’on qualifie de consomption par le feu spirituel ; c’est pourquoi l’on nomme cette première épreuve, l’épreuve du feu.

Pour beaucoup d’hommes, la vie elle-même constitue dans son ensemble une initiation par le feu, plus ou moins consciente. Ce sont ceux dont l’âme est enrichie de nombreuses expériences, grâce auxquelles ils ont vu croître dans le bon sens leur confiance en soi, leur courage et leur fermeté, et qui, par suite, supportent la douleur, les déceptions et les échecs avec grandeur d’âme et avec un calme que soutient une force inébranlable.

Celui qui a passé par de telles expériences est souvent sans le savoir un initié. Il faut un rien pour ouvrir ses yeux et ses oreilles et faire de lui un clairvoyant, car il ne faut pas oublier que cette épreuve du feu n’a pas pour but de satisfaire la curiosité du candidat. Certes, il apprend à connaître des vérités extraordinaires dont l’homme n’a d’habitude aucune idée. Mais cette connaissance n’est pas le but, elle est le moyen qui conduit au but. Le but consiste pour le candidat à acquérir par cette connaissance des mondes supérieurs une confiance en soi plus profonde, un courage plus noble, une grandeur d’âme et une persévérance tout autres, en un mot des qualités qu’on ne saurait acquérir au même degré dans le monde inférieur.

Après l’épreuve du feu le candidat a le droit de retourner en arrière. Il continuera son existence fortifié tant physiquement que moralement et ne poursuivra son initiation que dans sa prochaine incarnation. Mais dans son incarnation présente, il sera un membre plus utile de la société humaine qu’il ne l’était auparavant. Quelle que soit la situation où il se trouve, sa fermeté, sa prudence et son influence bienfaisante sur ses semblables aussi bien que sa décision auront fait de notables progrès.

Mais si le candidat après l’épreuve du feu veut poursuivre ses progrès dans l’occultisme, il doit recevoir des leçons qui lui enseigneront le système d’écriture en usage dans les écoles secrètes. La véritable doctrine occulte est rédigée dans cette écriture, car ce qui dans les choses constitue leur caractère secret ou occulte est par définition impossible à exprimer, soit par les mots de la langue commune, soit par les caractères de l’écriture courante, et ceux qui ont reçu l’enseignement des initiés traduisent de leur mieux en langue commune les leçons de la sagesse.

Les signes de l’écriture occulte ne sont ni arbitraires ni artificiels, mais ils répondent aux forces qui agissent dans l’univers. On apprend par eux le langage des choses. Le candidat constate bientôt que les signes qu’il apprend à connaître correspondent aux figures, aux couleurs et aux sons qu’il est devenu capable de percevoir au cours de la préparation et de l’illumination. Il voit que ses connaissances antérieures n’étaient que l’A B C de la science occulte.

C’est maintenant seulement qu’il commence à savoir lire dans les mondes supérieurs, il voit les rapports et les enchaînements de tout ce qui ne lui apparaissait auparavant que comme des phénomènes isolés. C’est maintenant seulement que ces observations présentent toute la sûreté désirable. Auparavant il ne pouvait jamais affirmer qu’il avait bien vu les choses qu’il avait vues. C’est maintenant seulement qu’il peut exister une entente régulière et réciproque entre le candidat et l’initié dans le domaine des mondes supérieurs, car, quelles que soient les relations d’un initié et d’un autre homme, l’initié ne saurait véritablement communiquer sa science transcendante sous sa forme immédiate et spontanée qu’en se servant de cette langue des signes.

Par le moyen de cette langue, le candidat arrive à connaître un certain nombre de règles de conduite, certains devoirs dont il n’avait aucune idée auparavant et quand il sait mettre en pratique ces règles de conduite, il peut accomplir des actions d’une importance telle qu’elles dépassent de beaucoup les actions d’un homme qui ne serait pas initié. Il agit du haut des plans supérieurs. Les instructions qui visent ses actions ne peuvent être saisies que dans la langue occulte. Remarquons pourtant qu’il existe des hommes qui ont le pouvoir d’accomplir inconsciemment de telles actions, bien qu’ils n’aient jamais pratiqué l’occultisme. Ces aides de l’humanité et de l’univers traversent la vie en répandant la bénédiction et les bienfaits.

Par des raisons que nous ne pouvons expliquer ici, ils ont reçu des dons qui paraissent surnaturels. La seule chose qui les distingue de l’étudiant occultiste, c’est que ce dernier agit en pleine conscience et avec une vue claire de l’ensemble : il conquiert, en effet, par une discipline ce que ces hommes ont reçu à titre de présent des puissances supérieures pour le bien du monde. Ces hommes bénis de Dieu méritent un sincère respect, mais ce n’est pas une raison pour considérer le travail occulte comme superflu.

Lorsque l’étudiant a appris la langue secrète, il lui faut aborder une autre épreuve. Cette épreuve doit prouver s’il peut évoluer en toute liberté et avec une entière sécurité dans les mondes supérieurs. Dans la vie ordinaire, l’homme est poussé à l’action par des impulsions extérieures, il accomplit telle ou telle besogne parce que les circonstances lui imposent tel ou tel devoir. Nous n’avons pas besoin de faire remarquer que l’étudiant ne doit abandonner aucun de ses devoirs quotidiens sous prétexte qu’il participe à une vie supérieure.

Il n’existe pas de devoirs dans les mondes supérieurs qui forcent quelqu’un à négliger une seule de ses obligations dans la vie. Le père de famille demeure un aussi bon père de famille, la mère une aussi bonne mère ; de même ni le fonctionnaire, ni le soldat, ni aucun citoyen n’est détourné d’aucun de ses devoirs par la pratique de l’occultisme, au contraire. Toutes les qualités qui font la valeur d’un homme dans la vie doivent progresser chez l’étudiant dans une mesure dont le profane ne saurait se faire une idée, et si les profanes ont parfois une autre impression, chose rare, cela vient de ce qu’ils ne sont pas capables de juger équitablement l’initié.

Ce que fait ce dernier est souvent malaisément compréhensible pour les autres, mais cela n’arrive que dans des cas particuliers. Pour celui qui est arrivé au degré précité de l’initiation, il existe des devoirs qui ne sont déterminés par aucun mobile extérieur. Ce ne sont pas des circonstances extérieures qui le guident dans ce domaine, mais bien les règles de conduite qui lui ont été communiquées par la langue occulte. Par la deuxième épreuve, il doit prouver que, sans autre lumière qu’une de ces règles, il peut agir aussi sûrement et avec autant de fermeté que peut le faire un employé qui accomplit une partie de son travail accoutumé.

Pour cet objet, l’instructeur fixe au candidat un certain travail à accomplir. Il doit s’aider au cours de ce travail de constatations effectuées grâce aux facultés qu’il a acquises pendant la période de préparation et d’illumination, et quant au plan même de son travail, il lui est communiqué dans cette langue secrète qu’il a dû s’assimiler auparavant. S’il sait  reconnaître  son devoir et agir en conséquence, il  a subi victorieusement l’épreuve. On reconnaît le succès de son action au changement qu’elle amène dans les figures, les couleurs et les sons que perçoivent les sens spirituels. L’instructeur précise exactement l’aspect que doivent revêtir ces figures, couleurs, etc., après l’action du candidat et ce dernier doit savoir comment il peut amener ce changement.

On appelle cette épreuve épreuve de l’eau parce que l’activité humaine dans ces domaines supérieurs se trouve privée des bases que lui procurent les événements extérieurs, de même que tout appui fait défaut à celui qui se meut dans une eau profonde. Le processus doit être renouvelé jusqu’à ce que le candidat ait conquis une parfaite assurance. Il s’agit par cette épreuve d’acquérir une qualité nouvelle et par ces expériences dans les mondes supérieurs, l’homme arrive à évoluer cette qualité en peu de temps jusqu’à un degré qu’il n’aurait atteint normalement qu’après de nombreuses incarnations.

Le point essentiel est le suivant : Le candidat ne doit, pour produire le changement voulu dans l’essence des plans supérieurs, suivre aucune autre indication que sa perception spirituelle et les instructions qu’il a déchiffrées dans la langue secrète.

Si, au cours de l’épreuve, ses désirs, ses opinions exerçaient sur lui la moindre influence et qu’il oubliait un seul moment de se conformer aux lois qu’il a reconnues pour vraies pour suivre sa volonté personnelle, alors il se produirait un résultat tout autre que le résultat attendu et dans ce cas le candidat perdrait aussitôt sa direction et son but et serait entraîné dans de graves erreurs. Aussi l’homme a-t-il, par cette épreuve, une occasion exceptionnelle de développer sa maîtrise de soi-même et c’est de cela qu’il s’agit.

Ici aussi, on peut subir plus aisément cette épreuve si, avant l’initiation, on a passé par une existence capable de fortifier cette maîtrise de soi-même. Celui qui a le pouvoir d’oublier ses caprices et ses volontés personnelles pour servir des principes et un idéal élevé, celui qui sait remplir son devoir, même lorsque ses inclinations et ses sympathies l’en détournent, celui-là est déjà dans la vie un initié et il ne faut plus que peu de chose pour qu’il puisse subir l’épreuve que nous avons décrite. Nous dirons même qu’il est indispensable d’avoir acquis dans l’existence un certain degré d’initiation inconsciente pour affronter la deuxième épreuve. Les gens qui n’ont pas appris dès leur jeunesse à écrire, éprouvent de grandes difficultés à le faire dans leur âge mûr.

De même, il sera difficile de développer sur les plans supérieurs la maîtrise nécessaire si l’on n’a pas déjà travaillé à acquérir cette faculté dans l’existence. Les choses du plan physique restent immuables et n’obéissent ni à nos désirs ni à nos inclinations, mais dans les mondes supérieurs, nos désirs, nos passions et nos inclinations exercent une action sur la réalité et si nous voulons produire dans ces domaines un effet prémédité, il faut que nous nous tenions nous-mêmes entièrement en main en suivant uniquement les règles appropriées et sans jamais obéir à notre fantaisie.

Une des qualités les plus précieuses à ce degré d’initiation est, sans contredit, la force ou la droiture du jugement. Il faut avoir travaillé à la développer dans les phases précédentes, mais c’est à ce moment-là que le candidat doit prouver si, réellement, il en est assez maître pour avancer davantage sur le sentier occulte. Il ne saurait y progresser que s’il sait discerner avec assurance de la vraie réalité tout ce qui est imagination, illusion, superstition ou mirage, et dans les densités supérieures de l’être ce discernement est plus difficile que dans le monde physique.

Tout préjugé, toute préférence doit disparaître au sujet des objets auxquels on a affaire, l’unique vérité doit servir de directrice. On doit être entièrement préparé à abandonner immédiatement toute pensée, toute opinion, toute inclination aussitôt que la logique le réclame, car on ne peut acquérir des certitudes dans le monde supérieur qu’en cessant de tenir compte de sa propre mentalité.

Les hommes qui penchent à la rêverie et à la superstition ne peuvent faire aucun progrès dans le sentier. Le disciple doit acquérir le plus précieux des biens : la certitude. Tous les doutes sur les mondes supérieurs disparaissent pour lui et les choses se révèlent dans leur essence et dans leurs lois, mais il ne peut conquérir ce bien aussi longtemps qu’il est le jouet de mirages et d’illusions. Il serait dangereux pour lui que son imagination et ses préjugés exerçassent une influence sur sa raison. Les rêveurs et les fantasques sont aussi peu faits pour l’occultisme que les gens superstitieux.

On ne saurait le répéter assez, car c’est par la rêverie et la superstition que les pires ennemis du disciple le guetteront sur les sentiers de la connaissance. Mais ne vous figurez pas que le disciple se trouve privé de poésie et d’enthousiasme parce qu’il aura lu sur la porte qui mène à la deuxième initiation ces mots : « Abandonne toute idée préconçue », et sur la porte qui conduit à la première épreuve cette phrase : « Sans bon sens, tes pas sont vains. »

Lorsque le candidat a suffisamment progressé en ce sens, la troisième épreuve l’attend. Là, on ne lui fixe plus aucun but, tout dépend de lui et de son initiative. Il se trouve dans une situation où rien ne le détermine à agir, c’est par lui-même qu’il doit trouver sa route. Il n’existe autour de lui ni objet, ni personne qui puisse l’influencer. Il ne saurait puiser la force dont il a besoin nulle part ailleurs qu’en lui-même.

Si cette force lui faisait défaut, il se retrouverait aussitôt à la même place qu’auparavant. Mais il faut dire que bien peu parmi ceux qui ont réussi dans les précédentes épreuves se trouveront ici dépourvus de la force nécessaire. Ou bien l’on reste en route à une des étapes précédentes ou bien l’on triomphe ici encore. La seule chose importante est de savoir se déterminer avec promptitude, car il faut faire appel au soi supérieur dans le vrai sens du mot. Il faut savoir se décider rapidement et écouter les impulsions de l’esprit en toute chose.

On n’a plus le temps de délibérer ou de réfléchir. Une minute d’hésitation prouverait que l’on n’est pas encore mûr. Tout obstacle qui empêche de prêter l’oreille aux avis de l’esprit doit être surmonté avec audace. La qualité qu’il faut prouver, c’est la présence d’esprit et c’est aussi la qualité qu’il s’agit, dans cette phase de l’évolution, de perfectionner définitivement. Tous les mobiles d’action ou de pensée qu’un homme a pu avoir auparavant disparaissent.

Pour ne pas rester inactif, l’homme doit trouver dans son soi supérieur une raison d’agir, car c’est le seul appui dont il dispose, s’il ne veut pas perdre pied. Aucun de ceux qui lisent ces lignes sans être familiarisés avec ces sujets ne doit éprouver d’éloignement pour cette obligation imposée à l’homme de se confiner ainsi en soi-même. Car l’homme qui a subi avec succès cette troisième épreuve jouit de la félicité la plus parfaite.

Et, comme dans les autres cas, la vie ordinaire est ici pour bien des hommes une vraie discipline occulte. Pour les personnes qui, dans la vie, se sont accoutumées à prendre sans hésiter une prompte décision devant les devoirs qui leur sont imposés à l’improviste, l’existence a déjà servi d’école. Les situations les plus favorables sont celles où le succès dépend uniquement de la promptitude à agir. Si, dans un cas où une minute d’hésitation causerait un malheur vous êtes à même de vous décider sur le champ et de le prévenir ainsi et si cette décision est devenue partie intégrante de votre nature, vous avez déjà inconsciemment acquis la maturité nécessaire pour subir la troisième épreuve, car elle est destinée à perfectionner la présence d’esprit.

On la nomme dans les écoles occultes l’épreuve de l’air, parce que le candidat se trouve privé aussi bien de l’appui extérieur des impulsions venues du monde physique que de l’aide des perceptions spirituelles, grâce auxquelles il aurait pu se déterminer. Il est réduit strictement à ses propres forces.

Lorsque le disciple a réussi dans cette dernière épreuve, il possède le droit de pénétrer dans le « Temple de la connaissance supérieure ». Au sujet des événements qui suivent, nous ne pouvons faire que des allusions très discrètes. Ce qui attend le disciple a été représenté comme une sorte de « serment » qu’il doit prêter, un serment de ne pas trahir les secrets de l’occultisme. Mais les expressions de serment et de trahison ne sont aucunement appropriées à leur objet, au contraire, elles sont de nature à induire en erreur : car il ne s’agit nullement d’un serment au sens ordinaire du mot : c’est bien plutôt une expérience qui vous est conférée dans cette phase de l’évolution.

On apprend à mettre en pratique l’occultisme et à l’appliquer au service de l’humanité. On commence alors seulement à comprendre la vraie signification de l’univers. Ce n’est pas de taire les vérités supérieures qu’il s’agit mais au contraire de savoir les défendre d’une manière judicieuse et les répandre avec tout le tact nécessaire. On s’assimile cette qualité transcendante tout particulièrement en ce qui concerne les choses dont on a auparavant parlé et la manière dont on en a parlé. Ce serait un mauvais initié que celui qui n’emploierait pas ses connaissances occultes au service de l’humanité dans la plus large mesure possible.

Il n’y a d’autres obstacles aux communications que l’on peut faire dans ce domaine que l’incompréhension de celui auquel on s’adresse. Assurément les mystères que connaît l’initié se prêtent mal à être traités dans une conversation quelconque, mais il n’existe point de défense qui empêche de parler celui qui s’est élevé à ce degré de l’évolution.

Aucun homme ne lui impose dans ce sens un serment. Il est personnellement responsable de ce qu’il doit faire ; ce qu’il apprend, c’est à savoir en toute situation décider uniquement par lui-même ce qu’il a à faire, et le mot de serment signifie simplement qu’il a été jugé capable d’assumer cette responsabilité.

Lorsque le candidat a été jugé digne de cette confiance, il reçoit ce qu’on appelle symboliquement la boisson d’oubli, c’est-à-dire qu’on lui communique le secret grâce auquel il pourra agir sans être à tout instant encombré et troublé par la mémoire inférieure. Ce pouvoir est indispensable à l’initié, car il faut qu’il puisse considérer avec une confiance entière la réalité immédiatement présente. Il doit pouvoir détruire ces voiles du souvenir qui enveloppent l’homme et obscurcissent sa vue. Si je juge ce qui se présente à moi aujourd’hui d’après ce que j’ai expérimenté hier, je m’expose à des erreurs multiples ; naturellement, nous ne voulons pas dire par là qu’il faille renoncer à l’expérience acquise dans l’existence ; il faut l’avoir toujours présente, le cas échéant. Mais en tant qu’initié, il est indispensable d’acquérir la faculté de juger chaque événement en soi, et de le laisser agir librement sur l’esprit, sans se laisser troubler par les souvenirs du passé.

Il faut qu’à chaque instant je m’attende à recevoir d’une chose ou d’un être une révélation entièrement neuve. Si je juge le nouveau d’après l’ancien, je suis sujet à l’erreur. Le souvenir des expériences anciennes m’est d’une extrême utilité en ce qu’il me permet de « voir » le nouveau. Si je n’avais pas une connaissance antérieure des choses, il est probable que certaines qualités d’un objet ou d’un être qui se présentent à moi m’échapperaient entièrement. L’expérience doit précisément servir à voir le nouveau, mais non pas à juger le nouveau d’après l’ancien.

La deuxième boisson offerte à l’initié est la boisson du souvenir. Grâce à elle, il acquiert la possibilité d’avoir toujours présentes à l’esprit les vérités supérieures. La mémoire ordinaire n’y suffirait pas. Il faut « devenir un » avec ces vérités d’ordre transcendant. Il ne suffit pas de les connaître, il faut qu’elles deviennent des parties intégrantes de notre activité vitale, comme la nourriture ou la boisson pour l’homme physique. Elle doivent se transformer en caractères permanents, en formes de l’activité ou de la sensibilité. On ne doit pas avoir besoin d’y réfléchir dans le sens ordinaire du mot. Elles doivent s’exprimer par l’homme même, circuler en lui et devenir comme les fonctions vitales de son organisme. Ainsi l’initié devient dans le royaume de l’esprit l’équivalent de ce que la nature l’a fait dans le monde physique.

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Extrait de :  Le seuil du monde spirituel – Rudolf Steiner

DU « GARDIEN DU SEUIL » ET DE QUELQUES PARTICULARITÉS DE LA CONSCIENCE CLAIRVOYANTE

Par les expériences qu’il fait dans le monde sensible l’homme est  en  dehors  du  monde spirituel où, comme nous l’avons vu précédemment, plongent les racines de son être. On se rend compte de l’importance que possèdent ces expériences pour l’être humain quand on songe que la conscience clairvoyante, en se déployant dans les mondes suprasensibles, nécessite un renforcement des mêmes forces de l’âme qui s’acquièrent dans le monde sensible. Si ce renforcement fait défaut, l’âme ressent une certaine crainte à entrer dans le monde suprasensible et, pour s’en empêcher, elle recourt même à des « preuves » « démontrant » l’impossibilité de pareille entrée.

Par contre, si l’âme se sent assez forte pour pénétrer dans le monde spirituel et si, ensuite, elle se sent en possession de forces suffisantes pour s’y maintenir comme un être autonome, capable d’entrer en contact conscient non seulement avec des pensées, mais avec des êtres — comme il faut qu’elle le fasse dans le monde élémentaire et dans le monde spirituel —, alors elle réalise qu’elle n’a pu recueillir ces forces que par la vie dans le monde sensible. Elle comprend que le passage à travers le monde sensible correspond à une nécessité de l’évolution cosmique.

Cette compréhension résulte tout particulièrement des expériences de la conscience clairvoyante avec la pensée. En pénétrant dans le monde élémentaire la conscience s’emplit d’êtres qu’elle perçoit sous forme d’images. Il n’est pas question pour elle de déployer au sein de ce monde et par rapport aux êtres qui le peuplent, une activité de l’âme analogue à celle que la vie mentale lui fait déployer dans le monde sensible.

Néanmoins il serait impossible pour un être humain de trouver son chemin au sein du monde élémentaire sans le secours de la pensée. Sans doute, même sans activité de la pensée, on serait à même de voir les êtres du monde élémentaire ; mais on ne saurait d’aucun d’eux ce qu’il est réellement. C’est comme si l’on se trouvait en face d’une écriture qu’on ne saurait lire. Certes, les caractères d’une écriture ont le même aspect aussi bien pour les yeux de qui ne sait pas lire que pour ceux d’un lecteur expérimenté. Il est clair pourtant qu’une écriture n’a de signification et de réalité que pour qui est à même de la déchiffrer.

Néanmoins la conscience clairvoyante pendant qu’elle demeure dans le monde élémentaire ne déploie nullement la même activité de pensée que celle qui s’exerce dans le monde sensible. Il faut plutôt se représenter qu’un être pensant — tel que l’homme — en percevant nettement le monde élémentaire, saisit en même temps la signification des êtres et des forces de ce monde, tandis qu’un être non-pensant est réduit à la seule perception des images. Par exemple, l’âme, en percevant dans le monde spirituel les êtres ahrimaniens, les prendrait pour toute autre chose que ce qu’ils sont,

si elle n’était pas un être pensant. Il en est de même par rapport aux êtres lucifériens et à d’autres êtres du monde spirituel. Les êtres ahrimaniens et lucifériens sont perçus dans leur réalité quand l’homme les contemple du haut du monde spirituel avec le regard clairvoyant renforcé par la pensée.

Si l’âme ne s’armait pas suffisamment de la force de pensée, les êtres lucifériens, perçus du haut du monde spirituel, s’empareraient du monde clairvoyant des images et produiraient dans l’âme qui les contemple l’illusion quelle pénètre de plus en plus profondément dans le vrai monde spirituel recherché par elle. En réalité, elle glisserait de plus en plus dans ce monde que les êtres lucifériens tendent à préparer conformément à leur nature. Il est vrai que l’âme se sentirait de plus en plus autonome ; mais elle se familiariserait avec un monde spirituel qui ne correspondrait ni à sa nature ni à son origine. Elle entrerait dans une ambiance spirituelle étrangère à elle.

Des êtres tels que les êtres lucifériens sont cachés par le monde sensible. C’est pourquoi ceux-ci ne peuvent troubler la conscience ordinaire.

Pour cette dernière ils sont tout simplement inexistants. Cela permet à la conscience de se renforcer suffisamment par la pensée sans être incommodée par eux. C’est une des particularités instinctives de la conscience normale qu’elle ne désire pénétrer dans le monde spirituel pour le contempler que dans la mesure où elle s’est suffisamment fortifiée à cet effet  dans  le  monde sensible. La conscience dépend de la manière dont elle peut se déployer dans le monde des sens. Elle se sent dans son élément quand elle se retrouve dans les pensées, sentiments, affections, etc., qu’elle doit au monde sensible. Combien fortement la conscience est attachée aux expériences du monde sensible, c’est ce qui se montre tout particulièrement dans le moment où l’âme entre effectivement dans les mondes suprasensibles. Comme dans des moments spéciaux de la vie on se cramponne à des chers souvenirs, ainsi alors toutes les sympathies dont on a jamais été capable émergent nécessairement des profondeurs de l’âme.

On se rend compte alors combien au fond on est accroché à la vie qui rattache l’homme au monde sensible. Cet attachement se montre dans toute sa vérité, sans les illusions qu’on se fait généralement à ce sujet dans la vie ordinaire. Quand on pénètre dans le monde suprasensible, la connaissance de soi-même réalise — en quelque sorte comme une première acquisition suprasensible — un progrès qu’elle ne pouvait guère imaginer avant. On voit alors combien de choses il faut laisser derrière soi quand on veut vraiment entrer consciemment dans ce monde, dans lequel après tout on se trouve constamment, en réalité. Avec une netteté qui ne laisse rien à désirer, l’homme perçoit par le regard clairvoyant ce que, consciemment ou inconsciemment, il a fait de lui-même dans le monde des sens.

Souvent il arrive qu’à la suite d’une pareille expérience on abandonne toute tentative de pénétrer plus avant dans les mondes suprasensibles. Car, en même temps, la clarté se fait sur la nécessité de transformer ses sentiments, si le séjour dans le monde spirituel doit être couronné de succès. Il faut prendre la résolution, de faire mûrir en soi une disposition intérieure toute différente de celle qu’on avait, ou, en d’autres termes, à celle qu’on avait conquise précédemment, il faut savoir en ajouter une autre.

Et pourtant, que se passe-t-il donc, en vérité, au moment de l’entrée dans le monde suprasensible ? On contemple l’être qu’on a toujours  été ;  mais  on ne  le  voit  plus  maintenant  du point de vue du monde sensible ; on le voit sans illusion, dans sa vérité, du point de vue du monde spirituel.  On  le  contemple,  en  se  sentant  pleinement  pénétré  par  les  forces  de  connaissance  qui permettent de mesurer sa valeur spirituelle.

Quand on s’examine de cette manière, la crainte d’entrer consciemment dans le monde suprasensible s’explique. On se rend compte jusqu’où va la force qu’on possède pour cette entrée. On voit comment, par sa propre conscience, on s’en tient éloigné. Et plus on apprend ainsi à se connaître soi-même, plus surgissent les affections qui retiennent la conscience dans le monde sensible. Des recoins les plus profonds de l’âme la connaissance supérieure évoque ces affections. Il faut les connaître ; c’est le seul moyen de les surmonter.

Mais en les reconnaissant, on subit encore toute leur puissance. Elles voudraient subjuguer l’âme qui se sent entraînée par elles comme dans des profondeurs indéfinies. Le moment de la connaissance de soi-même est plein de sérieux. Le problème de la connaissance de soi-même est objet de beaucoup trop de spéculations philosophiques et de théories. C’est pourquoi le regard de l’âme, au lieu d’être dirigé vers le sérieux qu’elle réclame, en est plutôt détourné.

Mais, en dépit de tout ce sérieux, avec quelle satisfaction pourtant ne constate-t-on pas la sagesse des instincts humains qui empêchent l’âme d’entrer dans le monde spirituel aussi longtemps qu’elle n’est pas à même d’acquérir l’expérience de sa propre maturité. Quelle satisfaction dans le fait que la première rencontre importante que l’on fait dans le monde suprasensible est celle de son propre être, dans sa réalité, cet être qu’il s’agit de développer à travers l’évolution de l’humanité.

On peut dire qu’il y a dans l’homme un être qui veille avec sollicitude à la frontière qui doit être traversée quand on veut entrer dans le monde spirituel. Cet être spirituel qui se trouve dans l’homme et qui est l’homme lui-même — inaccessible à la conscience ordinaire comme l’œil à son propre regard — est le « Gardien du Seuil » du monde spirituel. On apprend à le connaître non pas parce qu’on est effectivement lui-même, mais au moment où, étant en quelque sorte en dehors de lui, on se place en face de lui comme quelqu’un d’autre.

Le même renforcement des facultés de l’âme que requièrent d’autres expériences occultes rend aussi visible le « Gardien du Seuil ». Car, outre que la rencontre avec le « Gardien » est pour le regard clairvoyant affaire de connaissance, il ne faudrait pas croire que cette rencontre n’ait lieu que pour l’homme devenu clairvoyant. Tout homme, chaque fois qu’il s’endort, se trouve dans les conditions où cette rencontre s’effectue ; il se trouve en face de lui-même tout à fait comme s’il était en face du « Gardien du Seuil », aussi longtemps que dure son sommeil. Le fait est que dans le sommeil l’âme s’élève vers son être suprasensible. Seulement ses forces intérieures ne sont pas assez intenses pour produire la conscience de soi-même.

Pour bien comprendre les expériences occultes, surtout dans leur première et délicate éclosion, il est particulièrement important d’être attentif au fait que l’âme peut fort bien n’être pas tout à fait novice dans la vie suprasensible, sans toutefois être à même de s’en former une connaissance sérieuse. La clairvoyance débute par des formes presque imperceptibles. Ainsi souvent, s’attendant à voir des choses presque tangibles, on laisse passer des impressions de nature clairvoyante qui glissent sans qu’on les enregistre ou qu’on veuille les reconnaître pour telles.

Elles se présentent alors de manière à être immédiatement oubliées. En apparaissant dans le champ de la conscience, elles sont si faibles que comme de légers nuages, elles restent tout à fait inobservées. C’est pour cette raison et aussi parce que, en général, on attend de la clairvoyance toute autre chose qu’elle n’est tout d’abord, que bien des personnes qui cherchent sérieusement à pénétrer dans le monde spirituel, n’y parviennent pas.

Sous ce rapport aussi la rencontre avec le « Gardien du Seuil » est importante. Quand c’est justement du côté de la connaissance de soi-même que les efforts de l’âme ont été dirigés, cette rencontre pourra bien n’être que comme un premier et léger glissement d’une vision spirituelle ; elle s’oubliera toutefois moins vite que d’autres impressions suprasensibles, parce qu’on est intéressé à son propre être beaucoup plus qu’à autre chose.

Mais il n’y a pas de raison pour que la rencontre avec le « Gardien » ait nécessairement à compter parmi les premières expériences occultes. Le renforcement de l’âme peut se faire  dans différents sens. Aussi l’âme peut-elle se diriger de manière à voir surgir à l’horizon spirituel, avant cette rencontre, d’autres êtres ou événements. Toutefois cette dernière ne se fera guère attendre longtemps une fois qu’on est entré dans le monde suprasensible.